Ouattara, Thiam, Gbagbo… Les mystères d’Abidjan – par Marwane Ben Yahmed "J A"
- Écrit par Adama
- Publié dans Infos Ivoiriennes
L’affiche de l’élection présidentielle d’octobre demeure incertaine, mais il ne fait aucun doute que l’opposition ivoirienne devra faire son aggiornamento si elle compte peser face au RHDP d’Alassane Ouattara. Et le temps est déjà compté.
À seulement cinq mois de la prochaine présidentielle en Côte d’Ivoire, rarement l’horizon politique aura été aussi nébuleux, soulevant plus d’interrogations qu’apportant de certitudes. Le chef de l’État sortant sera-t-il candidat ? Qui, dans les rangs de l’opposition, contestera au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) son hégémonie ? Le scrutin sera-t-il apaisé ou, au contraire, faut-il s’attendre à des tensions, comme en 2020 ? Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2011, n’a pas encore annoncé sa candidature pour un quatrième mandat. Il n’empêche, le RHDP le considère comme son « candidat naturel », et le congrès du parti, à la fin de juin, devrait entériner ce choix qui n’en est pas vraiment un puisqu’il n’y a pas de plan B. Sauf coup de théâtre, Alassane Ouattara devrait ensuite se déclarer officiellement à la mi-juillet, probablement le 15. Il ne pourra guère entretenir le suspense plus longtemps, la campagne des parrainages débutant le 20.
Pour l’instant, sans Tidjane Thiam Si le pouvoir avance comme un bloc apparemment soudé autour d’un chef unique et incontesté, dont la succession n’est toujours pas à l’ordre du jour, l’opposition, elle, offre le spectacle d’une mosaïque éclatée, traversée de rivalités anciennes, de fractures idéologiques, de rancunes personnelles et souffrant d’une absence de coordination stratégique. La pluralité s’y confond avec la dispersion, et les projets avec les ego. Elle semble être le théâtre d’une triple guerre de succession : celle du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), celle du Front populaire ivoirien (FPI) et celle, plus large, de la mouvance des anciens du pouvoir déchu en 2011. Après la mort d’Henri Konan Bédié, en 2023, l’ancien parti unique s’est retrouvé à un carrefour. L’espoir d’un renouveau s’est un temps cristallisé autour de Tidjane Thiam, l’ancien patron de Crédit Suisse, revenu sur la scène politique avec le prestige d’un outsider à la stature internationale, s’emparant de la présidence du PDCI à la surprise générale et de manière éclatante. Mais sa candidature a été empêchée par la justice : Thiam est radié des listes électorales au motif qu’il a perdu la nationalité ivoirienne en obtenant, en 1987, la nationalité française. Une décision perçue comme un règlement de comptes par l’intéressé comme par ses partisans. Privé de son champion, le PDCI semble vaciller.
Jean-Louis Billon, autre prétendant, s’est lancé dans la course, mais sans bénéficier d’une véritable dynamique. Le parti paie aujourd’hui le prix d’une transition menée sans doute trop rapidement et de manière guère consensuelle, malgré les apparences. Il reste une force politique structurée, dotée de nombreux cadres, d’un ancrage historique et d’une symbolique puissante. Lui manque une vision, qui fédérerait ses troupes. Gbagbo joue la carte de la victimisation Acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) et de retour au pays depuis 2021, Laurent Gbagbo demeure une figure polarisante. Pour ses partisans, il incarne la résistance, la souveraineté, la rupture avec le néolibéralisme prôné par Alassane Ouattara. Ses détracteurs, eux, n’ont pas oublié le règne des Refondateurs à l’époque où le FPI était au pouvoir, et la tragique crise postélectorale de 2011. L’ancien président se heurte surtout à une condamnation à vingt années de prison dans l’affaire du casse de la BCEAO, ce qui bloque juridiquement sa candidature.
Gbagbo le sait, et joue la carte de la victimisation. Il dénonce une « justice instrumentalisée » et une « confiscation du pouvoir ». Son Parti des peuples africains –Côte d’Ivoire (PPA-CI), fondé après qu’il a abandonné le FPI à Pascal Affi N’Guessan, mobilise, organise des meetings qui attirent les foules, comme à Dabou le 12 avril. Il reste cependant dans une étrange posture, à mi-chemin entre le boycott et les starting- blocks. Sa stratégie est incertaine, son horizon obscurci par les institutions qu’il conteste. Dans un autre registre, Simone Gbagbo, devenue présidente du Mouvement des générations capables (MGC), brigue également la magistrature suprême. L’ex- première dame veut incarner la rupture avec le passé, y compris avec son ex-mari. Elle dénonce le verrouillage du système électoral, mais pâtit d’un certain isolement. Sa base militante, réelle, est cependant restreinte, et sa candidature divise plus qu’elle ne rassemble.
Épée de Damoclès judiciaire sur Soro et Blé Goudé Face à cette dispersion, une tentative de front uni a vu le jour : la Coalition pour l’alternance pacifique en Côte d’Ivoire (CAP-CI). Elle regroupe 25 partis et organisations politiques, dont le PDCI, le FPI, le MGC et d’autres formations de moindre importance. Cette coalition, créée en mars, entend présenter une candidature commune et obtenir des réformes urgentes du processus électoral. Mais le PPA-CI de Gbagbo refuse d’en faire partie tant que les règles du jeu lui sembleront biaisées. Résultat : la CAP-CI apparaît comme une plateforme sans colonne vertébrale. Son succès dépendra de sa capacité à désigner un candidat unique, crédible et fédérateur, ce qui semble pour l’instant peu probable. Un autre facteur handicape lourdement l’opposition : l’épée de Damoclès judiciaire qui pèse sur certains de ses leaders. Outre Gbagbo, plusieurs figures ont été écartées par la justice ou sont poursuivies pour incitation à la révolte ou pour diffamation. Il en va notamment ainsi de Guillaume Soro ou de Charles Blé Goudé. L’opposition y voit une stratégie d’asphyxie légale, qui vise à décourager toute contestation et à disqualifier des adversaires. Cela nourrit un sentiment de colère dans certains quartiers et dans certains fiefs politiques, mais ne débouche pas sur une mobilisation à plus grande échelle.
Plus inquiétant, et au-delà des personnes, l’opposition souffre d’un manque d’idées. Aucun aggiornamento intellectuel n’est en vue… Hormis des slogans sur la réforme de la commission électorale ou des promesses de « rupture », peu de projets structurés ont été proposés. Aucun programme économique n’a émergé. Aucun projet de gouvernance n’a été avancé ni même esquissé. Il faut conquérir le pouvoir, certes, mais pour quoi faire ? Mystère. Face à un RHDP qui, lui, peut se prévaloir d’un bilan – fût-il contesté – et d’une organisation disciplinée, l’opposition peine, faute de narratif puissant, à toucher l’imaginaire collectif. Elle parle à une base et à une élite militantes déjà conquises, mais rarement à la jeunesse, qui aspire à autre chose qu’à de sempiternelles querelles byzantines. Entre les invalidations de candidatures, les rivalités intestines, les blocages institutionnels et l’absence de figure centrale consensuelle, l’opposition ivoirienne entre dans la campagne présidentielle affaiblie et en ordre dispersé. Son seul espoir réside dans une prise de conscience collective : l’alternance n’est pas un trophée individuel, mais un projet de société.
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