Jacques Chirac avait profondément enraciné son parcours en Corrèze, sa première terre d’élection.
Un fief qu’il partageait avec François Hollande, ce qui a contribué à nouer des liens tardifs entre les deux présidents.
"Mes racines plongent dans cette terre", aimait répéter Jacques Chirac en parlant de son ancien fief, la Corrèze. C’est ici qu’enfant il venait passer ses vacances, chez son grand-père instituteur à Sainte-Féréole. Sa mère est née à Noailhac. Son père a joué au rugby sous les couleurs du CA Brive. C’est ici surtout qu’il a fait ses premiers pas d’homme politique. Bien avant de devenir maire de Paris, Premier ministre et président de la République, il est devenu conseiller municipal de Sainte-Féréole en 1965. Puis député, conseiller général, président du conseil général de Corrèze. Une longue histoire d’amour qui débute réellement en 1967.
À l’époque, le cœur de la Corrèze bat à gauche. Georges Pompidou, Premier ministre, décide d’envoyer de jeunes loups sur cette terre de mission. Jacques Chirac, qui envisage un temps d’être suppléant de Jean Charbonnel, se lance finalement en Haute-Corrèze. Jacques Chirac, itinéraire d'un animal politique
Jacques Chirac est mort jeudi à l'âge de 86 ans. La disparition de l'ancien président de la République a déclenché une importante vague d'émotion en France et dans le reste du monde. Retour sur la trajectoire d'un homme d'Etat qui a imprimé sa marque sur la vie politique des dernières décennies.
Président de la République pendant douze ans, deux fois Premier ministre en quarante années de vie politique et maire de Paris pendant dix-huit ans : avec Jacques Chirac, c’est un géant de la vie politique française qui s'est éteint jeudi à l'âge de 86 ans. Un animal politique qui s'est bâti une solide réputation de tueur, plusieurs fois enterré puis ressuscité, mais aussi un homme-caméléon aux convictions changeantes et à la personnalité insaisissable, qui a longtemps caché, derrière une image caricaturale, sa culture iconoclaste.
Croiser Jacques Chirac, c’était d’abord faire l’expérience d’une énergie hors du commun qui, jeune, lui avait valu le surnom de "bulldozer" ou de "fend-la-bise", d’un appétit pantagruélique - longtemps, il cacha un sandwich dans son cartable du Conseil des ministres -, d’une authentique chaleur humaine, aussi, et de ses mains, immenses, qui happaient les vôtres d’autorité. Des femmes aux électeurs en passant par les politiques, beaucoup ont cédé à son charme. "Arrêtez de dire que Chirac est sympa!", s’agaçait l’austère Lionel Jospin en pleine cohabitation, devant ses ministres conquis. L’histoire a montré qu’il avait des raisons de se méfier.
Chirac, c’est peut-être Sarkozy qui en parlait le mieux : "On a toujours dit de [lui] qu’il était con, gentil et généreux. C’est tout le contraire : il est intelligent, complexe et très intéressé." Capable de stopper un cortège officiel pour s’inquiéter de la santé de la mère d’un quidam, il savait aussi flatter ses rivaux d’une main pour mieux les étrangler de l’autre. Sans états d’âme. De toute façon, estimait-il, "il ne faut pas blesser une bête : on la tue ou on la caresse".
Des saillies devenues des classiques Les Français l’ont aimé parce que ce président-là leur ressemblait : macho, grivois, fâché avec le sport, il préférait la bière au champagne, adorait la tête de veau, était capable de disserter sur les qualités du "cul noir" limousin - une race porcine - et de rétorquer, main déjà tendue, à un homme qui lui lançait un sonore "connard!" en plein bain de foule : "Enchanté, moi, c’est Jacques Chirac!" Il a régalé son entourage de saillies dont certaines sont désormais des classiques : "Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre", "Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille."
Mais cet homme-là a aussi vécu la plus grande partie de sa vie dans les palais de la République, dégagé de toute contingence matérielle, pratiquait le baisemain dans les règles de l’art et vouvoyait son épouse, Bernadette Chodron de Courcel, elle-même issue de la haute bourgeoisie. Ses colères les plus noires, il les traduisait d’un : "Ce n’est pas convenable", qui tombait, tranchant.
L’homme, a-t-on longtemps cru, n’aimait que la musique militaire et ne lisait que des romans policiers. Les Français ont découvert sur le tard que s’il aimait les westerns, lui était du côté des Indiens, et que cet amoureux des "arts premiers" - auxquels il offrira un musée à Paris - et de la culture asiatique - au point d’avoir gagné le respect des sourcilleux Chinois - était russophone, amateur de poésie, et appréciait davantage le sumo que le football.
Viré du lycée pour indiscipline Longtemps, le jeune Chirac chercha sa voie, entre un père autoritaire et une mère qui vouait un culte à son fils unique, entre une éducation bourgeoise et l’attirance pour les cultures oubliées, entre l’envie d’aventure et la politique, entre la gauche et la droite, aussi. Né le 29 novembre 1932, il est issu d’une solide lignée corrézienne sur laquelle ce Parisien a construit sa légende. À Brive-la-Gaillarde, son grand-père Louis, instituteur, était une figure de la gauche radicale-socialiste, franc-maçon et férocement anticlérical. Son père, Abel, à peine moins autoritaire, a fui son emprise pour monter à Paris, où le petit employé de banque est devenu directeur général de l’avionneur Potez et s’est lié d’amitié avec Marcel Dassault.
Enfant gâté, le petit Chirac sera galopin puis rebelle. Sa famille ayant fui la capitale en juin 1940 pour se réfugier au Rayol, près de Toulon, il passe une partie de son enfance à courir les collines et les ravins, et à s’amuser à couper les fils des téléphones de campagne de l’armée allemande, au grand désespoir de ses parents.
Après la guerre, il lui faut pourtant retourner à Paris et réapprendre à porter des chaussures. Élève moyen et indiscipliné, il est exclu du lycée Hoche de Saint-Cloud pour une histoire de boulettes de papier tirées sur un enseignant. Mais dans le même temps, à 15 ans, il annonce qu’il veut apprendre le sanskrit, pour explorer par lui-même ces civilisations anciennes qui le fascinent, lui qui hante déjà les salles du musée Guimet. Ses parents lui dénichent un Russe blanc qui a fui les bolcheviques, Vladimir Delanovitch. Il lui apprendra non pas le sanskrit, mais le russe. "Cela te sera plus utile", décrète le vieux professeur, à l’origine de la passion de l’adolescent pour la littérature russe, la civilisation perse ou l’art chinois. Père spirituel, il marquera le jeune homme d’une telle empreinte que Jacques Chirac avait encore les larmes aux yeux en se recueillant sur sa tombe en 2013.
À Sciences-Po, il vend L'Huma
Mais son vrai père, lui, trouve alors son fils décidément trop désinvolte. Il est vrai qu’en 1950, il l’a vu revenir à la maison entre deux policiers pour avoir distribué devant un commissariat l’appel de Stockholm contre l’armement nucléaire. Abel - rebaptisé François pendant la guerre - exige qu’il prépare Polytechnique, quand le jeune homme rêve de devenir capitaine au long cours.
À 17 ans, Jacques Chirac se révolte et prend la fuite. Ce sera le premier d’une longue série de coups de force. Il embarque à Dunkerque comme pilotin (élève officier) sur un cargo. Le temps d’acheter une pipe et du tabac, de perdre son pucelage dans un bordel algérien et de passer le concours de lieutenant; mais son père met fin à la parenthèse : un matin, Jacques aperçoit la haute silhouette qui l’attend sur le quai pour le ramener à Paris. Après le savon paternel, il rentre dans le rang. À défaut de grand large, il fera Sciences-Po, puis l'ENA.
Le rebelle s’y métamorphose en étudiant assidu. Mais quand son ami Michel Rocard le sollicite, il refuse d’adhérer à la SFIO : il trouve les socialistes "trop conservateurs". Pacifiste, il se rapproche des communistes : il vendra L’Humanité pendant deux courtes semaines.
Physique d’acteur américain, clope au bec, ce tombeur rencontre alors une jeune fille sage et consciencieuse, héritière d’une famille prestigieuse, à laquelle il fait faire ses fiches de lecture, Bernadette Chodron de Courcel.
Souce : www.lejdd.
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